"Est-ce que le fait de ne rien savoir ne nous rassure pas un tout petit peu sur tout ce qu'il nous reste à apprendre ? " Emmanuelle Perret

Manue est une personnalité, elle dit à son sujet qu'elle aime cultiver ce qu'elle appelle "cette quasi-invisibilité" mais je ne m'y suis pas trompé, cette femme est un vrai coffre aux trésors humains qui recèle des milliers de tiroirs tous plus intéressants les uns que les autres. J'espère sincèrement que sa belle plume, pleine de poésie et de zen attitude vous donnera autant de force et de bonheur que cela a été le cas pour moi lors de sa réception. Merci Manue d'avoir accepté de nous dévoiler ta si belle âme.
Manue 
Quand Emy m'a proposé d'écrire quelque chose pour son blog, j'ai eu la même interrogation que d'autres : pourquoi demander des articles à des gens alors que la Miss a de multiples cordes à son arc et écrit très bien elle-même ? En y réfléchissant, je pense que cela montre toute la maturité et la sagesse dont elle dispose : elle est entourée de tellement de personnes qui font des choses variées et souvent impressionnantes que ce serait dommage de ne pas s'en apercevoir et de ne pas leur faire savoir. Emy, non seulement, a pris conscience de sa chance (celle qu'on a tous en fait) mais a également eu le courage d'en faire quelque chose qui, de ce que j'ai pu voir, n'a pas fini de nous surprendre et de nous faire gamberger. 
Ensuite, j'ai pensé, comme d'autres sans doute, pourquoi moi ? Je n'ai rien accompli d'exceptionnel, je passe plutôt inaperçu et à vrai dire, j'aime cultiver cette quasi-invisibilité qui me permet d'atteindre le troisième degré que possèdent Mémé Ciredutemps et Tiphaine Patraque
Terry Pratchett- auteur de "la huitième couleur" entre autre
Blague à part, j'ai lu récemment une phrase du style «  lorsque vous rencontrez quelqu'un, il sait forcément deux ou trois choses que vous ne connaissez pas » (désolée, j'ai une mémoire de poisson rouge malencontreusement hybridée à celle d'une holothurie et je n'ai pas la référence). Je pense qu'Emy a saisi tout le potentiel de cette assertion en demandant aux gens qu'elle rencontre ce qu'ils ont à dire et surtout en les écoutant et peut-être que j'ai deux ou trois choses à dire que vous ne savez pas. 

Comme la Miss a fait partie de l'équipe d'improvisation théâtrale des Sakura (l'année 2010/2011 pour le Championnat de la LOLITA  - et oui, je balance de l'info), je me suis dit que ce sujet-là pouvait peut-être l'intéresser plus particulièrement - et c'est un peu l'essentiel puisque je ne connais pas ses lecteurs après tout (et je suis en train de me dire qu'il faut que j'arrête de faire des parenthèses à rallonge longues comme le bras d'un géant issu de Jack et les haricots magiques). Donc, je vais parler de sakuras et peut-être d'autres choses parce que je suis assez bordélique et qu'on est sur le blog du « Bazar d'Emy Lie » et que j'aime bien le bazar en fait.
Takase river (Tokyo) – copyright : Linda S. Walker

La fleur de cerisier
tombe vite et
Lentement.

(Le haïku c'est 5-7-5 normalement mais je ne suis pas poète alors tout va bien.)

Au Japon, la fête des cerisiers en fleurs, sakura, me paraît l'une des plus importantes de toutes les multiples fêtes (matsuri) de ce pays qui n'en finit pas de révéler des splendeurs. Je ne suis pas une spécialiste du Japon - loin de là - donc vérifiez les informations par vous-mêmes (de toutes façons, ne pas croire d'emblée ce que vous lisez sur Internet n'est que le bon sens que certains devraient cultiver un peu). La fleur de cerisier était associée au samouraï et souvent représentée sur les « tsuba » (garde du sabre) ou « mon » (insigne hiéraldique), entre autres. Pourquoi cette fleur fragile que le légendaire samouraï Matsumoto trouve « perfect, (they are) all perfect » ? Parce que la floraison est courte et que la fleur tombe dans toute sa splendeur, sans avoir fanée (d'où le proverbe japonais : Sakura no hana wa kareru mae ni chiru – les fleurs de cerisier tombent avant de faner) ; tel le samouraï qui était prêt à mourir à tout instant d'une mort violente au combat et dans toute la gloire de sa jeunesse. 

Le bushido (la voie du guerrier) n'était pas une voie facile à suivre, d'ailleurs de nombreux samouraïs se sont égarés en cours de route, brisés par leur ego et le semblant de pouvoir que peut donner une arme ou plus prosaïquement par de malheureuses circonstances. Pour être un bon samouraï, il faut aussi être un homme véritable, et pour ce faire, le samouraï doit cultiver cinq qualités humaines.

Et comme tout à un nom, ces cinq conditions sont regroupées sous le terme de Gojô. En fait, ce sont les cinq vertus de Confucius donc elles datent d'au moins 2500 ans mais on serait fou de ne pas reprendre les bonnes choses déjà découvertes à notre compte (une prof de littérature ancienne a sagement dit un jour « de toutes façons, les grecs avaient déjà tout inventé bien avant nous »)... 

Dans le Gojô, on recense : la Bienveillance (Nin ou Jin – bonté, fraternité) sans laquelle toutes les autres qualités se transforment en perfidie. Il s'agit d'accepter l'univers tel qu'il est de s'harmoniser avec lui, de comprendre les différences des autres sans vouloir à tout prix les changer et sans doute d'autres choses que je n'ai pas encore compris. Puis vient la Justice (Gi), l'Etiquette (Rei) – sans doute un peu difficile à comprendre pour un occidental – il s'agit d'un moyen gestuel de montrer son respect pour les gens et les choses. 

Dans l'excellent livre sur La voie du Bâton (Jodô) de Pascal Krieger Sensei (un homme qui rayonne tellement que les gens s'améliorent à son contact), on peut lire sous la définition du Rei qu' « un arbre mérite notre respect autant qu'un être humain ou un animal puisqu'il fait partie du même univers ». Et là, j'aimerais faire une petite digression parce que les arbres sont un autre sujet que j'aurais voulu aborder (en même temps, le cerisier étant un arbre, je ne digresse pas tant que ça ;  est-ce que j'étais déjà en train de digresser ?). 





Avant d'en venir à mon arbre (pourquoi j'ai une chanson de Brassens dans la tête maintenant ?), je fais ma minute je-m'énerve-toute-seule : j'entends souvent les gens râler à propos « des écolos » et le terme n'est pas très sympathique dans leurs bouches. Je ne me considère pas comme une écolo. Difficile de se comporter comme un « éco-responsable » quand on vit en ville, même si c'est déjà bien de faire le peu que l'on peut faire (« Le peu qu’on peut faire, le très peu qu’on peut faire, il faut le faire », Th. Monod. Par contre, j'ai fait des études d'écologie appliquée, une science (même si certains l'appellent « science molle » parce qu'il n'y a pas assez d'équations à leur goût dans cette discipline). Je trouve dommage que sous prétexte que l'écologie soit devenue un appât politique, on dénigre l'écologie dans son ensemble. Il y a des faits scientifiques avérés, par exemple, on sait depuis longtemps que les digues en béton aggravent généralement l'effet d'inondation plus qu'ils ne la traitent alors qu'une bordure de saules autour d'une rivière peut être beaucoup plus efficace (en plus de tous ses autres avantages). Pourquoi n'écoute-t-on pas les scientifiques plutôt que les politiciens ? Bref. Je ne m'étends pas sur le sujet, il est vaste et sensible. 

Par contre, je poursuis ma digression sur l'arbre (j'y suis restée avec les saules, vous avez vu  - du coup, je digresse sans digresser ?), juste pour vous demander si vous avez déjà enlacé un arbre ? Si vous l'avez fait, vous savez que la sensation qu'on éprouve en entourant un arbre de ses bras, en le laissant vous emplir d'énergie et de force, en vous vidant de toute pensée négative, est unique. Si vous ne l'avez jamais fait et que vous trouvez cette idée stupide, dommage. Peut-être que la prochaine fois que vous verrez un bel arbre, immense ; un arbre qui vous donne de l'ombre et de la fraîcheur en été lorsque la chaleur est écrasante, un arbre qui vous fournit votre oxygène - accessoirement, le seul producteur d'air sain de notre planète – vous repenserez à cette nana bizarre du net qui embrasse des arbres et si vous avez une once de sensibilité en vous, vous aurez envie de remercier cet arbre. D'ailleurs, les japonais ont compris depuis longtemps qu'il fallait respecter les arbres (dans « Mon voisin Totoro » de Miyazaki, toute la famille va remercier l'arbre géant pour sa protection – et on en revient à la fête des cerisiers en fleurs où contempler simplement les fleurs de cerisiers et s'émerveiller (« hanami ») me semble aussi être un moyen de remercier les arbres...) Fin de la presque-digression.


Mon voisin Totoro, un film de Miyazaki
J'en reviens au Gojô. J'ai déjà parlé de Nin, la bienveillance (ou Jin) - il paraît que le kanji représente à gauche un homme debout et à droite le chiffre deux et symbolise ainsi l'absence de conflit, l'harmonie -, de Gi, la justice (ou Ghi) - le haut du kanji est un mouton, le bas est une arme de guerre -deux beaux symboles pour la justice (je pourrais parler longuement du mouton et par extension du loup, dont le retour en France est naturel mais restons en là), et de Rei, l'étiquette. Ensuite, vient la Connaissance (Chi) - les trois parties du kanji symbolisent une flèche, une bouche et le verbe/la parole - il ne s'agit pas des connaissances dont on peut s'abreuver à foison mais plutôt de la Connaissance au singulier : la sagesse. Et enfin, vient la Confiance (Shin) - le kanji est un homme debout à côté d'un homme qui parle - il s'agit de la loyauté, la sincérité ; « celui qui possède le Shin ne manquera jamais à sa parole ni ne trahira la confiance de personne »4. Voilà la base d'un homme véritable selon Confucius. Ce sont des notions qui ne s'acquièrent pas en un jour, de même que l'apprentissage des arts martiaux s'étend au-delà du dojo et se poursuit pendant des décennies. Les pratiquants d'arts martiaux dégagent au bout de quelques années de pratique, une sérénité, un charisme que l'on remarque aisément. Que ce soit les samourais que l'on croise dans les « Sept samouraïs » ou dans « Après la pluie », que ce soient Pascal Krieger ou d'autres professeurs que j'ai eu la chance de rencontrer, il émane des personnes qui cultivent ces qualités et libèrent leur esprit par des exercices physiques rigoureux, une chose assez indéfinissable qui fait qu'on a envie d'être comme eux, qu'on n'a certainement pas envie de les embêter, et qu'on se sent rasséréné sur ce qu'un être humain peut accomplir de meilleur.
Pascal Krieger  
Les hommes sont capables du pire et quand on croit avoir eu connaissance du pire, on se trompe lourdement ; mais il sont aussi capables du meilleur, dans les mêmes extrêmes. Je parle des arts martiaux parce que je pratique un peu mais révéler le meilleur chez l'humain, c'est ce que font tous les artistes. Ils nous font voir la beauté des choses, à tel point que le monde serait triste et insipide sans eux. On parle toujours très mièvrement de l'amour mais l'amour n'est rien comparé à ce que peut nous faire ressentir un artiste d'un seul coup de musique, d'un seul éclat de peinture, d'un seul morceau de texte. Sans les artistes qui nous amènent dans les endroits émotionnels les plus reculés et sans les scientifiques qui nous ramènent dans les endroits rationnels tout aussi nécessaires, la vie n'aurait pas beaucoup de sens (enfin, j'en suis seulement à ma réflexion de deuxième niveau, « que sera sera » comme dit la chanson).

Par ailleurs (mais pour revenir aux sakura), c'est la saison des cerises alors profitons-en (la nourriture est aussi l'une des choses qui peut donner un sens à nos vies lorsqu'elle n'est pas une contrainte). J'ai découvert récemment, au hasard d'une rencontre, la ligue des optimistes de France  et je trouve le concept assez génial. Les évidences sont parfois bonnes à dire et répéter et quoi de plus logique que de trouver le positif derrière toute chose pour aller mieux ? Les optimistes, non seulement trouvent le fameux verre à moitié plein, mais considèrent aussi que c'est dans la partie vide que tous les arômes s'additionnent pour révéler les parfums complexes du breuvage... 




Dès qu'on creuse un peu un sujet, on s'aperçoit qu'il y a tout un monde derrière: les jeux de société (vous ne connaissez que le Monopoly et Trivial Poursuite ? Chanceux que vous êtes vous en avez des milliers à découvrir avec des centaines d'auteurs/éditeurs, des centaines de mécanismes et thèmes différents, etc.), l'astronomie (vous ne connaissez que notre Galaxie ? Chanceux que vous êtes vous en avez des milliards à découvrir ainsi que des centaines d'autres types d'objets astronomiques qu'on peut trouver dans notre univers – ah oui, au fait, on n'est qu'une des toutes petites planètes qui tournent autour du soleil, elle même une « petite » étoile sur le bras de la Galaxie qui compte quelques centaines de milliards d'étoiles...), les livres (vous ne connaissez que le dernier Musso et préférez généralement les magazines ? Chanceux que vous êtes, il en sort des centaines chaque jour sur tous les sujets imaginables, avec tous les styles imaginables... De mon côté, j'aime beaucoup Paul Auster, John Irving, Haruki Murakami, Pierre Corneille, Nancy Huston (difficile de n'en choisir que cinq...) mais chacun ses goûts – et puis il y a les BD aussi (et certains magazines sont très bons) !), bref.


Si j'osais re-citer Pratchett , je dirais que même les épingles ont sans doute leurs adeptes, leurs classifications et une histoire passionnante... Le rapport entre les cerises est l'optimisme ? N'est-ce pas évident, au moment où vous êtes en train de saliver ? Le rapport entre l'optimisme et le fait que tout sujet est un monde à lui tout seul ? Est-ce que le fait de ne rien savoir ne nous rassure pas un tout petit peu sur tout ce qu'il nous reste à apprendre ? 

Bon, je conçois que cet article soit moyennement structuré et quelque peu chaotique mais sur le blog du Bazar d'Emy Lie, on laisse ses clichés sur les gens dans le tiroir de Josianne (comprennent les fidèles lecteurs du blog) et si j'avais été sérieuse et structurée, je n'aurais pas vraiment été moi-même."

Emmanuelle Perret


1. §1. Les annales du Disque-Monde, 32è tome « A hat full of sky »/"Un chapeau de Ciel" : Tiffany Aching (dans sa version originale) est une sorcière qui possède le troisième niveau de pensée : « the Third Thoughts (the thoughts you think about the way you think about the way you think) », en fait, elle possède même le quatrième degré mais restons-en là. Quant à Mémé Ciredutemps, elle est trop connue (et trop puissante) pour que je lui fasse l'affront d'expliquer qui elle est. 

2.(§3) L.O.L.I.T.A. :  Ligue Ouverte et Libre d'Improvisation Théâtrale Amateur de Strasbourg (http://www.association-lolita.com) - je mets le lien car si vous cherchez « Lolita » sur le net vous risquez d'avoir un paquet de réponses... 

3.(§4) "perfect, they are all perfect" : Attention spoiler - c'est la phrase que Ken Watanabe - qui interprète le rôle de Matsumoto dans « Le Dernier Samouraï » d'Edward Zwick - dit lorsqu'il est en train de mourir et qu'il voit toutes les fleurs de cerisiers tomber lentement au sol (désolée pour le spoiler mais on s'y attendait un peu quand même et le film commence à dater (2003))... 

4.(§7 & §10) Jodô, la voie du bâton/the way of the stick. ISBN 2-9503214-0-2 édité en 1989 donc ne le cherchez pas en magasin. http://www.fej.ch -http://fei-iai.ch/  

5.(§8) En fait, la citation complète : « Le peu qu'on peut faire, le très peu qu'on peut faire, il faut le faire, pour l'honneur, mais sans illusion » est moins optimiste. Confucius nous a laissé une pensée un peu similaire : « avant de déplacer la montagne, il faut déplacer les petites pierres ». Les proverbes sont riches d'enseignement au Japon, d'ailleurs, un stage d'art martial est souvent placé sous un thème et je me souviens particulièrement de celui-ci : « les difficultés arrondissent la pierre / kan-nan-nanji-tama-ni-su » (Kan: difficulté. Nan: difficulté. Naji: toi.Tama: joyau. Ni:préposition. Su: faire, devenir) ; nous avions dû en baver (mais vu ma désormais fameuse mémoire d'holothurie hybride, j'ai oublié)... Je crois, par contre, que cette notion est abordé dans le livre « Ten - Jin - Chi » de P. Krieger. 

6.(§12) Ligue des optimistes de France : http://fr.optimistan.org/ 

7.(§13) Tiens d'ailleurs, si vous voulez classer les galaxies de notre univers pour aider la science, c'est par ici : choisissez « Galaxy zoo » surwww.zooniverse.org (ou un autre projet tout aussi chouette) ! Crowd power ! 

8.(§14) Cette fois-ci c'est dans Timbré, 30è livre des Annales du Disque-Monde qu'on trouve Yves, un collectionneur invétéré d'épingles...
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